La porcelaine, cette matière considérée immuable à travers le temps, est aux fondements de mes recherches. À travers la représentation de signes iconiques et diverses manipulations technologiques, mes réalisations évoquent les cycles de transformation de la matière et un perpétuel glissement de sens dans la perception de phénomènes naturels. Mes créations débutent avec la prémisse qu’avant sa cuisson, l’argile est souple et peut être indéfiniment transformée si elle reste humide. Lorsque l’argile cuit, elle devient irréversiblement céramique. Le processus de cuisson rend cette matière stable et permanente, et celle-ci conserve ses caractéristiques de dureté et d’immuabilité pendant des millénaires. Mes recherches avec la matière me conduisent à développer diverses stratégies pour déjouer les caractéristiques inhérentes de la céramique et suggérer que celle-ci peut demeurer souple et en perpétuelle transformation. Je combine mon intérêt pour les caractéristiques physiques et chimiques de la matière avec ma fascination pour le biomimétisme, et l’incroyable capacité d’adaptabilité de certaines espèces animales. Par exemple, les oiseaux vivants en milieux urbains qui utilisent des déchets pour construire leurs nids de façon très ingénieuse me fascinent et inspirent certaines de mes créations. Mes recherches récentes sont aussi inspirées par le phénomène de la zoochorie où des animaux ont une incidence sur le paysage en transportant dans leur pelage ou dans leur plumage, à leur insu, le pollen et des graines de diverses espèces végétales. C’est entre autres le cas des chauves-souris des forêts tropicales qui sont d’importantes pollinisatrices, et qui contribuent à la culture de nombreux fruits.
Mon intérêt pour la faune, la flore et pour le paysage en perpétuelle transformation se manifeste et se traduit de diverses manières dans ma pratique. Mes recherches des dernières années ont porté sur la « traduction » de la matière à travers divers processus technologiques tels que l’impression numérique, la numérisation 3D, la modélisation et l’impression 3D. Ce processus de traduction technologique de la matière était combiné avec une multitude d’objets du quotidien en atelier tels que des boîtes, des contenants et du matériel d’emballage, qui sont reproduits en porcelaine puis assemblés de diverses manières. C’est à travers ces juxtapositions de matières fonctionnelles et usuelles qui forment le paysage de l’atelier, avec d’autres éléments qui ont été traduits à travers diverses technologies avant d’être reproduits en porcelaine, que se sont déployé les installations en bas-relief intitulées Les herbes de passage.
Mon travail a récemment pris une nouvelle tangente, qui se décline en de nombreuses possibilités. Depuis plusieurs années, je travaille avec une porcelaine que je fabrique moi-même à partir de matières premières, ou que j’achète toute prête auprès de divers fournisseurs. Cependant, au cours des deux dernières années, la pandémie a révélé la fragilité de la chaîne d’approvisionnement de plusieurs matières premières. En cherchant des équivalences à certains matériaux qui n’étaient pas disponibles, j’ai débuté une réflexion sur des matériaux alternatifs disponibles sur le territoire québécois, et qui resteraient accessibles même si les chaînes d’approvisionnement venaient à être interrompues. Ces matériaux locaux auraient aussi l’avantage de diminuer mon empreinte écologique et de me permettre de vivre davantage en autosuffisance dans ma pratique artistique. Puisque toutes les matières premières utilisées en céramique sont d’origine minérale, j’ai débuté une recherche sur les roches et les minéraux disponibles sur le territoire québécois qui pourraient éventuellement être intégrés à ma liste de matières premières. À travers mes recherches préliminaires, j’ai établi que je ne souhaitais pas uniquement trouver des substituts aux matières premières du commerces, mais aussi trouver des roches et des minéraux qui, une fois pulvérisés à diverses granulométries, pourraient ajouter de la texture et enrichir l’expérience déjà profondément matérielle de la céramique. Ce nouveau processus dans ma démarche me permet aussi d’ajouter une nouvelle couche de sens à ma production où j’évoquerais le paysage en ajoutant des matériaux issus de ce dernier dans mes créations. Cette thématique et ce processus d’ajout de minéraux que j’ai moi-même extraits du sol semblent se présenter comme une suite logique à ma démarche qui est déjà très ancrée dans l’évocation de divers phénomènes naturels et du passage du temps qui amène inévitablement transformations et changements.